5 avril 2010

La pensée du pire peut-elle conduire au meilleur ?

J'ai toujours vécu avec l'idée, je ne sais d'où héritée, que "le pire est toujours sûr" pour reprendre le mot de Freud (certains disent qu'il s'agit d'un proverbe espagnol, pour moi le mystère reste entier mais de peu d'importance : les mots circulent et ce pouvoir de circulation importe plus que leur origine). Autrement dit, j'ai toujours cru intimement qu'il fallait se préparer à ce pire ; aussi ai-je consacré de nombreuses heures de mon existence et beaucoup d'énergie mentale à me préparer à l'idée que je pouvais devenir aveugle, ou être mise en prison, ou torturée pour me faire avouer un secret d'État, ou réduite à la mendicité... et ce depuis mon plus jeune âge, disons depuis que j'ai été informée de la possibilité du malheur.

Assez récemment, s'est opéré en moi un revirement philosophique qui m'a permis de comprendre que se préparer au pire était non seulement une perte d'énergie, car la catastrophe n'a jamais le visage que l'on avait imaginé, mais une pratique nocive, car il s'agit bien de préparer le terrain au pire, autant dire de savonner sa propre pente pour glisser plus vite vers ce qui nous effraie. Envisager le pire, c'est déjà l'accueillir, lui préparer sa chambre en notre sein, alors que notre pensée aurait été tellement mieux employée à nous préparer au meilleur, nous mettre dans les dispositions d'esprit d'être réellement heureux.

Comme souvent, avoir conscience de la duperie de ce mode de pensée magique qu'est l'apprivoisement du pire est une chose, savoir s'en défaire en est une autre. Depuis quelques jours, je suis à nouveau prise à ce piège d'envisager l'horreur, de lui faire d'ores et déjà une place dans ma vie alors que je ne sais même pas encore si j'ai de bonnes raisons d'avoir peur. La sagesse voudrait sans doute qu'au moins je profite avec insouciance des moments présents, qui n'ont été entachés par aucune catastrophe. A quoi sert l'inquiétude ? Vivons heureux en attendant la mort disait Desproges en clignant de l'œil. L'on touche ici je crois à une question éternelle : peut-on être d'autant plus heureux que l'on sait que ce bonheur est précaire ?

3 commentaires:

  1. Pour avoir connu cet enclin, je comprends parfaitement ce que tu ressens...
    Une phrase de la sagesse millénaire chinoise dit : "Plutôt que de maudire l'obscurité, allume une bougie."
    Elle a tout son sens.

    Tu peux te préparer à ce que ton esprit imagine de pire, si les événements s'enveniment au-delà de cette limite, tu ne sauras pas plus le gérer que si tu n'avais rien fait ...
    A l'inverse, dans les joies et les bonheurs, si les événements sont encore meilleurs que ce que tu espérais, tu sauras parfaitement accueillir et intégrer ce 'surplus'.

    Alors que faire ? Ne s'occuper que du positif sans penser au pire ? Après tout ce temps, je ne pense pas que ce soit la solution.
    Par contre, relativiser les mauvaises passes, et rechercher le goût le plus intense des meilleurs moments, voilà qui permet d'avancer.
    Et de bouffer de la vie toujours plus fort...

    Goûte chaque instant comme si c'était le dernier, et repose-toi sur des fondations solides lorsque l'air te manque pour voler...

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  2. Le bonheur est précaire, et c'est en cela qu'il a de la valeur. Arriver à le contempler sans cligner est bien difficile... mais néanmoins nécessaire

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  3. Je ne suis pas surpris de penser exactement l'inverse. Quand on s'attend au pire, il est rare qu'il survienne, donc les choses vont mieux que prévu et on est soulagé. Mais si le pire survient effectivement, il n'y a pas de surprises, on est déjà préparé mentalement et ça nous donne raison.

    Petit aparte: quand on ne se donne pas la peine de répondre aux mail des copains qui s'inquiètent mais qu'on en a pour philosopher dans un blog, c'est que ça ne va pas si mal dans le fond.

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