12 janvier 2010

paragraphe intempestif

" Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur: la possibilité d'oublier, ou pour le dire en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique. L'homme qui est incapable de s'asseoir au seuil de l'instant en oubliant tous les événements du passé, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu'est un bonheur et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres. Imaginez l'exemple extrême: un homme qui serait incapable de ne rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu'un devenir; celui-là ne croirait pas à sa propre existence, il ne croirait plus en soi, il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans ce torrent du devenir. Finalement, en vrai disciple d'Héraclite, il n'oserait même plus bouger un doigt. Tout action exige l'oubli, comme la vie des êtres organiques exige non seulement la lumière mais aussi l'obscurité. Un homme qui ne voudrait sentir les choses qu'historiquement serait pareil à celui qu'on forcerait à s'abstenir de sommeil ou à l'animal qui ne devrait vivre que de ruminer et de ruminer sans fin. Donc, il est possible de vivre presque sans souvenir et de vivre heureux, comme le démontre l'animal, mais il est encore impossible de vivre sans oubli. Ou plus simplement encore, il y a un degré d'insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu'il s'agisse d'un homme, d'une peuple ou d'une civilisation. "

- Nietzsche, Considérations inactuelles. 1874

1 commentaire:

  1. Là.
    Donné et pris.
    Repris et chanté à coeur.

    Jetaimejetaimejetaime
    petite ritournelle
    cestbeaucestbeaucestbeau
    Exquis damoiseau
    Regarde mes prun...

    Ou alors sérieux, tel l'instant qui grave
    Pas de plage, seulement du métal
    On ne vole point, demeurés !

    On pourrait aussi sortir du jeu, du brouillard, admirer et dire le coeur franc et radieux que c'est franchement dégueu, absolument splendide, vraiment spirituel, délicieusement élégant, foutrement formidable et cesser de compter, cesser d'articuler pour écouter la musique entravée de mots.

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