6 janvier 2012

Rémanence

Lorsqu'il partait, se creusait dans mon âme un gros trou de tristesse, d'une tristesse mortelle. Puis elle s'apaisait. Nous échangions quelques textos et cela suffisait à recréer un sentiment de présence.
Il m'appelait toujours en rentrant chez lui.
Tous les soirs, je lui souhaitais une bonne nuit, par écrit, exactement à l'heure où j'étaignais.
J'ai fait cela pendant cinq ans.
Je crois que ma peine, lorsqu'il partait, plus dure au fil des années, était la préfiguration de sa mort, comme un motif déjà tramé avant d'être réellement donné à sa pleine mesure.
Il me manque encore aujourd'hui, j'en prends conscience dans le refus car c'est une pensée inacceptable. Je sais combien être passée à autre chose est pour moi une chance, en même temps qu'un parcours évident. Je n'aime plus les phrases de roman facile comme je n'ai jamais aimé que lui, car il y a là beaucoup de tromperie, j'ai suffisamment aimé après lui pour le savoir. Mais jamais de cette exacte façon. Et quand l'osthéopathe me dit "vos émotions sont bloquées, vous devez savoir pourquoi", je pense fatalement que peut-être ce que j'ai vécu de drame a laissé sa marque en moi, dans la recherche aussi d'une vie calme et sans heurts, dans la fermeture de mon cœur aux grands élans. Certains mots restent difficiles à utiliser après lui. Je n'écris pas "à tout jamais", car je sais bien pour avoir été à moi-même infidèle, que de "tout jamais" il n'y a point.
De cet amour impossible, vécu pour être impossible, dois-je garder seulement que "c'est fait", la passion romanesque n'est plus sur ma feuille de route… ou au contraire pour lui être fidèle, d'une manière dont il eut pu être fier, me tenir heureusement en vie. Vivre surtout à l'écoute de cet élan en moi, sincère et entier, qui me lia à lui si longtemps qu'il pourrait m'y lier encore, si la mort n'était venue prendre sa part.
Je n'ai pas exactement oublié, même si je ne vois pas aujourd'hui à quoi me serviraient pour vivre certains souvenirs.
Je ne suis pas celle que j'étais à 19 ans, et pour l'essentiel, tant mieux. Mais quand mes rêves me font voler au-dessus d'une plaine bocagée, ou recueillir un lièvre blessé, je suis bien la même à tout âge, silencieuse et concentrée, aimante, tendue, libre.
"Un clou ne chasse pas l'autre.", disait-il.

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