Lorsqu'il partait, se creusait dans mon
âme un gros trou de tristesse, d'une tristesse mortelle. Puis elle
s'apaisait. Nous échangions quelques textos et cela suffisait à recréer
un sentiment de présence.
Il m'appelait toujours en rentrant chez lui.
Tous les soirs, je lui souhaitais une bonne nuit, par écrit, exactement à l'heure où j'étaignais.
J'ai fait cela pendant cinq ans.
Je crois que ma peine, lorsqu'il
partait, plus dure au fil des années, était la préfiguration de sa mort,
comme un motif déjà tramé avant d'être réellement donné à sa pleine
mesure.
Il me manque encore aujourd'hui, j'en prends conscience dans le refus car c'est une pensée inacceptable. Je sais combien être passée à autre chose est pour moi une chance, en même temps qu'un parcours évident. Je n'aime plus les phrases de roman facile comme je n'ai jamais aimé que lui, car il y a là beaucoup de tromperie, j'ai suffisamment aimé après lui
pour le savoir. Mais jamais de cette exacte façon. Et quand
l'osthéopathe me dit "vos émotions sont bloquées, vous devez savoir
pourquoi", je pense fatalement que peut-être ce que j'ai vécu de drame a
laissé sa marque en moi, dans la recherche aussi d'une vie calme et
sans heurts, dans la fermeture de mon cœur
aux grands élans. Certains mots restent difficiles à utiliser après
lui. Je n'écris pas "à tout jamais", car je sais bien pour avoir été à
moi-même infidèle, que de "tout jamais" il n'y a point.
De cet amour impossible, vécu pour être
impossible, dois-je garder seulement que "c'est fait", la passion
romanesque n'est plus sur ma feuille de route… ou au contraire pour lui
être fidèle, d'une manière dont il eut pu être fier, me tenir
heureusement en vie. Vivre surtout à l'écoute de cet élan en moi,
sincère et entier, qui me lia à lui si longtemps qu'il pourrait m'y lier
encore, si la mort n'était venue prendre sa part.
Je n'ai pas exactement oublié, même si je ne vois pas aujourd'hui à quoi me serviraient pour vivre certains souvenirs.
Je ne suis pas celle que j'étais à 19
ans, et pour l'essentiel, tant mieux. Mais quand mes rêves me font voler
au-dessus d'une plaine bocagée, ou recueillir un lièvre blessé, je suis
bien la même à tout âge, silencieuse et concentrée, aimante, tendue,
libre.
"Un clou ne chasse pas l'autre.", disait-il.
6 janvier 2012
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
pas